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L’expertise, et le rapport qui en découle, seraient la clef de l’indemnisation des victimes de dommages corporels à la suite d’un accident ou d’une agression.
Ce constat est loin d’être faux. Il n’est pas complétement vrai non plus. Dans un système juridique composé de juges indépendants et impartiaux comme notre droit français l’assure, l’expertise n’est qu’un élément qui éclaire la situation d’une victime et permet de comprendre un peu mieux son vécu. Elle se suffit rarement à elle-même si on prête l’attention nécessaire qu’impose chaque vie. Et encore plus rarement si la victime n’a pas pu être accompagnée par un médecin conseil lui-même indépendant (vis-à-vis du payeur à tout le moins) ainsi que par un avocat formé en droit du dommage corporel.
Mais avant d’aller plus loin quelques précisions. Lorsque nous évoquons l’expertise nous avons à l’esprit celle qui fait suite à un accident de la circulation, de la vie ou une agression, pour prouver des préjudices, et obtenir leur indemnisation de la part de l’auteur (celui qui a commis les faits) ou de son garant (celui qui doit payer à la place de l’auteur, et on pense là bien entendu aux assureurs). Les expertises diligentées par les organismes de sécurité sociale ou de prévoyance ne sont pas le cœur de cet article mais les propos tenus peuvent retrouver application par analogie.
Après un accident de la route, l’assureur de la victime va proposer la mise en place d’une expertise médicale en envoyant son assuré rencontrer un médecin qu’il aura formé et qu’il rémunère. Un médecin qui, assez habituellement, travaille également pour l’assurance du tiers responsable… Il n’est objectivement (au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme applicable en droit français) ni indépendant ni impartial. Dans la majorité des cas la victime se présente seule devant ce médecin, qu’elle considère comme un « expert » indépendant et impartial alors qu’elle se présente en réalité devant le médecin conseil du débiteur, donc de la partie qui doit payer. C’est-à-dire un acteur qui est rémunéré, formé et sujet à la relecture par le payeur. Le cadre ainsi décrit correspond à « l’expertise unilatérale » diligentée par l’assurance de la victime ou celle du tiers responsable.
Dans les cas les plus graves, donc précisément à la suite d’une amputation, les assurances vont mettre en place une expertise parfois qualifiée de « contradictoire » qui met en présence deux médecins conseils (l’un est missionné et rémunéré par l’assurance de la victime, l’autre est missionné et rémunéré par l’assurance du tiers responsable).
S’y ajoutent souvent des inspecteurs régleurs, soit des salariés par définition soumis à un lien de subordination, qui travaillent pour les compagnies d’assurance concernées. L’inspecteur de la compagnie de l’assurance du responsable, sera amené à formaliser l’offre indemnitaire une fois la première expertise passée et l’état de santé de la victime amputée, consolidé (ce qui prendra plusieurs mois voire plusieurs années en fonction de l’âge de la victime).
Les expertises amiables qui suivront (puisque la première aura conclu à un taux d’incapacité permanente supérieur à 5%) mettront en présence la victime avec le médecin conseil de l’assurance du tiers responsable et son inspecteur régleur. En d’autres termes la victime se retrouve seule face à celui qui doit l’indemniser.
Pour éviter cette situation le droit permet d’être accompagné par un médecin conseil indépendant des assurances (communément appelé médecin « de recours ») ainsi que par un avocat formé en réparation juridique des dommages corporels.
L’avocat peut demander la mise en place d’une expertise véritablement « contradictoire » en mettant en présence le médecin conseil de l’assurance ainsi que celui choisi par la victime. Ces deux professionnels doivent signer un rapport commun qui valide des appréciations concordantes ou précise des différences de point de vue.
Car telle est la finalité de l’expertise : aboutir à un rapport précis et détaillé qui décrit la vie avant le fait générateur (l’accident ou l’agression), décrit les projets qui lui préexistait, liste les lésions et les séquelles provoquées par l’accident ; pour conclure sur les postes de préjudices subis (comme les souffrances physiques et psychiques, les gênes fonctionnelles des premiers mois, l’incapacité persistante malgré les soins et la rééducation, le besoin d’accompagnement par un tiers dans la vie quotidienne, la perte d’emploi, l’aménagement du logement, du véhicule, les besoins prothétiques etc.).
Si le rapport amiable contradictoire le permet, une discussion s’ouvre ensuite entre l’avocat et l’inspecteur de l’assureur payeur. L’objectif est d’aboutir à une indemnisation amiable. Si cela ne fonctionne pas le débat se reporte devant les magistrats qui tranchent les désaccords et condamnent l’assureur à indemniser la victime dans les proportions qu’ils estiment justes.
Il arrive régulièrement que le cadre amiable ne permette pas de mener une expertise contradictoire dans des conditions satisfaisantes tant d’un point de vue technique qu’humain.
C’est le cas lorsque les séquelles de la victime s’expliquent par la décompensation d’un état antérieur qui était asymptomatique jusqu’à l’accident. On pense ici au cas très fréquent de l’arthrose cervicale qui peut entrainer des conséquences lourdes (suite à un « coup du lapin ») en raison d’une fragilité jusqu’à alors silencieuse.
C’est encore le cas lorsque les préjudices sont sous-évalués alors qu’ils sont déterminants pour le respect des droits de la victime. Comme le besoin d’aide humaine déjà cité qui cristallise beaucoup de tension chez les assureurs compte tenu de son coût final, l’impact sur la vie professionnelle ainsi que les besoins d’aménagement et d’équipements prothétiques.
En pareil cas, c’est-à-dire lorsque l’expertise amiable n’aboutit pas à des conclusions qui permettent le respect des droits, le choix peut être fait par la victime - via son avocat - de demander la mise en place d’une expertise judiciaire censée être confiée à un médecin indépendant et impartial. Censé car malheureusement certains « experts » sont également médecins conseils (d’assurance notamment), ce qui peut légitimement affaiblir la confiance du justiciable vis-à-vis de la justice. Mais les avocats qui assistent les victimes sont vigilants sur ce point ainsi que les magistrats qui les écoutent.
L’expertise médicale dite judiciaire est alors encadrée par des règles précises que chaque partie doit respecter pour aboutir à des conclusions censées pouvoir éclairer les parties et permettre une liquidation indemnitaire, c’est-à-dire l’indemnisation des préjudices supportés. En droit le rapport d’expertise judiciaire a un poids plus important que le rapport amiable « unilatéral » ou « contradictoire ». Les juges peuvent se fonder exclusivement sur le rapport d’expertise judiciaire contrairement au rapport amiable. Cette vérité rappelée, la différence de valeur reste conceptuelle. Car dans tous les cas les Juges sont libres de trancher comme ils l’estiment juste.
L’article 246 du Code de procédure civile disposant : « Le juge n'est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien ». Il faut en tirer la conclusion qu’une expertise est effectivement un point culminant pour une victime, surtout lorsqu’il est question de la consolidation de son état, soit la date à partir de laquelle ses préjudices ne sont plus susceptibles de s’améliorer et qu’il est possible de l’indemniser.
Mais ce n’est qu’une pierre parmi les autres, légèrement plus grosse que les autres, utilisée pour construire le pont entre la réalité traumatique, la réalité du quotidien, et l’indemnisation la plus juste.
Le dossier médical sera tout aussi important, de même que les avis des médecins (qui connaissent la situation de leur patient depuis des années et pas seulement depuis quelques heures comme un expert), des rééducateurs, des prothésistes, des ergothérapeutes, des psychiatres, des proches, la prise de photographies etc.
C’est un tout qui permet à la victime d’obtenir une réparation à la hauteur de ses droits et pas seulement le rapport d’expertise. Ce qui est heureux tant la qualité de ces derniers est variable, pour ne pas dire aléatoire, en fonction de ceux qui les signent. Réalité qui s’impose pour tous les intervenants et ce compris les avocats qui se doivent d’être extrêmement vigilants pour écouter, aider, accompagner ; au risque de passer à côté de quelque chose. En faisant attention aux plus petits détails, à la phrase qui n’est pas prononcée, à celle qui n’est pas complètement terminée. Pour veiller à ce que la réparation soit effectivement intégrale. Veiller à ce que l’on ait envisagé tous les aspects de la réparation en essayant de visualiser le quotidien de la victime, ses besoins, ses droits. Ce qui impose un travail synergique entre l’avocat et la victime accompagnée aussi bien en amont de l’expertise (en l’aidant à réunir les pièces utiles ou encore en lui expliquant les étapes ainsi que la logique de l’expertise) que pendant celle-ci ; et après, pour traduire les conclusions prises (là encore en réunissant des pièces si nécessaire pour parfaire le rapport). Lorsque tout se passe pour le mieux et que les planètes s’alignent, la victime obtient la réparation de ses préjudices initiaux. Comprendre ici les conséquences subies dans les suites de l’accident.
Il arrive régulièrement pour les blessures les plus graves, comme une amputation, que la situation de la victime s’aggrave des années après l’indemnisation initiale. Cela provoque une nouvelle phase d’expertises qui pourra être amiable ou décidée par un juge. Le rapport qui en découlera restera une preuve parmi les autres afin de permettre aux Juges d’apprécier au plus juste le quotidien de la vie qu’il aura entre ses mains.
Maître Alexandre FARELLY
Avocat au Barreau de Grenoble, diplômé en réparation juridique des dommages corporels
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